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Souvenirs d’enfance - Les arbres

 

« Le temps est une illusion humaine, et tous les temps coexistent dans l'éternité. » 

Charles Howard Hinton, Qu’est-ce que la Quatrième dimension ? 1880

 

J’aime imaginer que le temps n’est pas ce que l’on pense, et que nous pouvons parfois apercevoir tous les temps coexister ensemble : celui maintenant vécu, celui passé et même celui à venir.

 

En marchant dans certaines forêts, on peut trouver à même le sol des fossiles de crustacés, de coraux ou de poissons, pris dans un calcaire préhistorique. Les vestiges de ces lointains êtres sous-marins dans un sous-bois picard ou cévenol, ouvrent notre imagination : voici, traversant une forêt de bouleaux, les redoutables Dunkleosteus, ces grands poissons qui vivaient il y a 430 millions d'années dans les océans Silurien. Et voici passer le Coelacanthe avec toutes ses nageoires rayonnantes, comme un lointain ressurgi, une image fantomatique. 

 

La forêt porte les traces de ces anciens habitants, dans son sol, dans l’écorce et les feuilles des arbres. Les arbres sont les ancestraux témoins du monde, ils nous observent.

 

Mon arrière-grand-père maternel était garde forestier. Quand j’étais enfant, ma mère aimait m’emmener marcher en forêt. La forêt était pour moi un lieu mystérieux, magnifique et inquiétant. Mais elle me décrivait les arbres, les plantes et les fleurs, elle savait les nommer, c’était rassurant.

J’imaginais tout ce que les arbres avaient vu et entendu, j’imaginais qu’ils me regardaient et m’écoutaient aussi, entre les feuilles, les faunes, les elfes et les nymphes. Maintenant que je suis plus âgée, il me semble pouvoir regarder moi aussi avec leurs yeux, entendre avec leurs oreilles. Nous partageons ces souvenirs.

 

La nature est vivante : les plantes chantent, les insectes vivent dans une symphonie d’ondes électriques, les arbres communiquent entre eux, par le sol, par les airs, par les racines et le vent. J’imagine qu’ils se racontent des histoires, qu’ils partagent entre eux leur savoir, leurs émotions et leurs sentiments aussi. Le cœur des arbres souffre des humains qui ne respectent plus la nature.

 

On croirait voir des yeux dans certains nœuds d’un bouleau. Une oreille dans la cicatrice d’une branche coupée. 

 

Ces yeux ont vu passer les nuages dans le ciel préhistorique, ils ont vu les chevaux courir en liberté dans les sous-bois, ils ont vu les premiers hommes, les premiers artistes aussi, qui peignaient ces nuages et ces chevaux sur les murs des grottes, épousant les contours de la pierre.

 

Ces oreilles entendent depuis toujours le grand orchestre de la forêt : le vent dans les feuillages, le bruissement des insectes, le chant des oiseaux, le lent cheminement des escargots, les sons très subtils qu’émettent les plantes et les fleurs, et parfois, comme un tremblement de terre, le brame du cerf ou le grognement du sanglier, le hurlement du loup à la lune.

 

Ce grand orchestre compose une symphonie que nos oreilles humaines ne peuvent complètement entendre. C’est seulement si nous restons sages, longtemps assis, oubliés dans la forêt, que nous parvient un peu de cette magnifique composition.


Les musiciens à l’écoute de la nature ont créé de splendides mélodies. Chostakovitch, dans sa 8ème symphonie, nous fait entendre les sons de la nature et brusquement, dans un grand fracas, l’irruption de l’homme, ses canons, ses bottes, ses cris. L’homme détruit, saccage cette merveilleuse harmonie.

 

Pourtant la nature nous survivra. Les arbres s’adapteront et la symphonie des forêts continuera bien après notre disparition.

 

Béatrice Koster

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